L’amour et les forêts, Eric Reinhardt
L’amour et les forêts, Eric Reinhardt paru le 21 Août 2014 chez Gallimard, 366 pages.
L’amour et les forêts signe certainement la consécration de cet auteur qui avait notamment écrit Cendrillon, Le système Victoria. Ce dernier livre a été salué par la critique et a remporté le prix Renaudot des lycéens et le prix Roman des étudiants France Culture-Télérama et encore le prix roman France Télévisions.
Bénédicte Ombredanne est la grande héroïne de ce roman puissamment littéraire, d’une précision extrême dans la peinture des sentiments et le déroulement de la chronologie des faits.
Bénédicte Ombredanne tenait à rencontrer son écrivain de prédilection (un double d’Eric Reinhardt ou l’auteur lui-même) pour lui exprimer combien son dernier livre avait été déterminant pour elle. Par la suite, elle se livre à cet homme qui partage une même sensibilité littéraire.
L’écrivain va apercevoir un morceau de vie de cette jeune femme discrète qui lui dévoile une vérité intime. C’est une femme repliée sur elle-même, opprimée, terriblement malheureuse vivant aux côtés d’un mari abject, la tenant sous sa coupe et la harcelant quotidiennement.
L’héroïne essaie tant bien que mal de maintenir la tête hors de l’eau dans ce foyer oppressant où grandissent deux enfants. C’est une femme cultivée, intelligente qui enseigne et pourrait prendre son indépendance. Elle n’en fait rien.
Son seul acte de rébellion délibéré va conduire sa vie dans un enfer sans nom qui la verra abattue. A la fois source de joie, de réconfort et d’espérance, ce geste a des conséquences dramatiques sur sa vie.
En s’intéressant d’un peu plus près à cette femme qu’il avait reléguée au second plan, l’auteur était loin de deviner la gravité des dommages et le poids de sa croix qu’elle ne lâche jamais…
Difficile en tant que lecteur de ne pas être tout à fait bouleversé par l’histoire de Bénédicte Ombredanne, une femme fragile, habituée à se sous-estimer et méprisée par son mari qui a fait d’elle une mère rigide, une personne brisée et transparente. Ou presque…
Difficile de comprendre le choix de notre héroïne de ne pas s’enfuir quand l’occasion lui en est donnée. Pourtant, cela correspond à une triste réalité. Et impossible de ne pas s’insurger contre la figure maritale qui ne semble être inquiété par personne.
Le roman est saisissant par sa maîtrise textuelle -de longues phrases que traversent un souffle épique- et romanesque qui déconstruit la figure centrale pour mieux en restituer le puzzle final. Émaillé de nombreuses références littéraires, c’est un livre qui s’adresse avant tout aux amateurs de belles lettres mais qui touchera un lectorat plus large grâce à un sujet sensible habilement exploité ici.
Un extrait qui montre l’héroïne sous un autre angle :
« Bénédicte Ombredanne alluma son ordinateur et se rendit sur le site de Meetic. La colère l’avait transfigurée, elle n’éprouvait aucune douleur, elle pianotait sur son clavier déterminée et méthodique, rapide, adepte de la ligne droite et consciente du but à atteindre, comme si les flammes consécutives aux deux déflagrations, et qui se propageaient à toute vitesse dans son esprit, lui permettaient d’apercevoir précisément ce qu’elle cherchait, et le moyen d’y accéder : une clarté d’incendie s’était faite. De nombreuses pages se succédaient qu’elle devait renseigner pour bâtir son profil, elle n’avait pas imaginé que l’inscription serait aussi fastidieuse, il fallait se soumettre à un processus de validation qui lui parut interminable. Malgré tout, elle ne s’était pas sentie aussi déterminée depuis l’époque où elle avait passé et réussi l’agrégation, depuis ces temps lointains où devant sa copie, solitaire et prête à en découdre, elle voulait être la plus brillante _ pendant toute sa jeunesse, les moments où elle s’était sentie le plus radieuse avaient été ces heures d’effort intense dans les grandes salles où avaient lieu les épreuves de concours, au milieu des autres, comme si la place qui lui convenait le mieux était celle de candidate, la place de la personne qui se mesure aux autres par le savoir et la performance individuelle. Concentrée, elle avançait avec prudence dans ce parcours de schématisation identitaire, cochant les cases qui lui semblaient les plus opportunes par rapport au caractère circonstanciel de sa démarche, optant pour l’euphémisme ou se livrant à de minimes ajustements, décidant en derniers recours de ne pas répondre aux questions les plus délicates, afin de compromettre le moins possible ses chances de réussite. »
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