Les conversations, Anna Lisbeth Marek
Les conversations, Anna Lisbeth Marek, Phébus, paru le 2 Janvier 2014, 170 pages
PRIX LANDERNEAU 2014 catégorie « découvertes » décerné le 12 février
C’est le premier roman d’Anna Lisbeth Marek qui est traductrice de suédois, spécialisée dans la littérature jeunesse.
Résumé :
Le roman s’ouvre sur un enterrement : celui du mari de la vieille Magda. Cette dernière a veillé sur son époux qui est mort après avoir souffert pendant un an. « Je suis une vieille qui vacille. Titubante et méchante, tordue par la douleur, sans doute. »
Ce sont les premières phrases qui ouvrent le récit. Le lecteur peut s’attendre au discours bien amer d’une vieille femme antipathique. Fausse piste. Magda est fatiguée de sa situation : recevoir tout ce monde, après l’enterrement, qui s’enquiert de son état si bien que, afin de s’échapper un tant soit peu au moins par l’esprit, elle va convoquer ses souvenirs de jeunesse. Dès la première page, il est question de « Prune » dont on verra toute l’importance au fil du roman.
Nous revisitons le Paris d’avant-guerre à travers les yeux d’une fillette, la jeune narratrice Magda qui nous invite à partager son univers avec tellement de générosité.
C’est toute sa famille qu’elle fait revivre, tant et si bien qu’on en oublie très vite la situation de l’incipit : une vieille dame aigrie ayant tout juste enterré son mari pour lequel elle semble éprouver un certain ressentiment qui ne s’expliquera qu’à la toute fin. Il y a donc ses deux frères et soeurs cadets : Elise et Philippe qui demeurent au second plan, ses parents : sa mère présente, aimante, jouant du piano, son père farceur, charismatique, intelligent auquel elle voue une grande admiration entretenue par un lien particulier entre les deux et le privilège qu’elle a d’être l’aînée de la famille.
Et puis autour d’eux gravite une famille juive avec un seul enfant, Prune, du même âge que Magda. Tous sont très proches. Ils vont jusqu’à passer des vacances ensemble. C’est l’époque bénie de l’enfance heureuse et insouciante. Cet âge d’or ne dure pas.
Le premier événement qui marque une coupure : c’est la décision du père de déménager pour, comme il le dit, se rapprocher de son travail. Les deux familles ne seront plus voisines. Prune et Magda grandissent, forgent leur personnalité, continuent de se voir mais différemment. Prune mettra du temps à avouer à son amie d’enfance qu’en fait de visiter sa cousine malade, elle faisait en réalité partie d’un groupe de scouts auprès desquels elle va développer un engagement militant.
Bientôt la guerre est déclarée et Magda nous narre son quotidien voilé d’infimes changements qui seront plus conséquents au moment de l’Occupation mais jamais autant que pour les Juifs. En soutien à Prune et ses parents, Magda et son père défilent dans les rues de Paris auprès des « étoilés » et des autres sans étoile de David ou encore ceux qui la singent en s’épinglant un symbole sur la veste se moquant clairement de ces nouvelles lois.
Le danger se fait de plus en plus pressant jusqu’à cette décision ultime du père de Magda de venir en aide à leurs amis de longue date. Décision tellement lourde de conséquences. Une nouvelle ère est entamée et une page se tourne tandis qu’une autre se referme. Magda résume alors en quelques pages sa vie d’adulte et sa rencontre avec celui qui est devenu son mari et le père de leurs deux enfants.
A la fin de la journée, une amie commune à Henri et Magda, restée pour la soutenir, lui remet une lettre et lève ainsi le voile sur un secret familial très bien gardé. Aurait-il dû demeurer enfoui ? peut-on se questionner. L’univers de Magda implose alors faisant en même temps basculer le lecteur qui se repasse les différentes scènes de ce roman avec un tout autre regard…
Ce que j’en ai pensé :
Un excellent premier roman très maîtrisé tant sur le plan de la construction que de l’écriture stylée. Une héroïne attachante nous ouvre les portes de son histoire familiale, intime, bouleversante qui est alors rattachée à la grande Histoire : celle des Juifs et de leur sort durant la seconde guerre mondiale.
Nous suivons les différentes étapes de la vie de Magda décrites avec pertinence et vérité. Anna Lisbeth Marek est dotée d’une belle habilité à donner vie à ses personnages et à faire renaître un Paris que nous n’avons pas connu.
Ce roman sur l’amitié, les liens familiaux et les non-dits qui rongent les êtres ne vous laissera pas indifférents. C’est beau et touchant, sans aucune fausse note…
A découvrir sans plus tarder !
Un extrait qui vous permettra de goûter cette belle langue et l’univers riche de l’auteure :
« L’été de nos dix ans, nous retournâmes dans la grande maison près d’Aix-en-Provence, avec mes parents. C’était la première fois que nous passions des vacances tous ensemble. Je retrouvais avec une joie un peu inquiète cette immense maison et ce patio qui avait recelé tant de mystère. Chaque chambre venait s’y prendre et se fondre dans un décor qui sentait la Méditerranée, avec la petite fontaine en céramique bleue et rouge, centre de gravité du lieu marqué par le bruit faible d’un jet d’eau, fin comme de la soie, qui perçait le silence dans une douce rêverie, presque religieuse. J’aimais m’asseoir là quelques minutes chaque jour, les fins d’après-midi, loin du fracas du dehors, des bruits de voix élimées et des discussions animées. J’aimais parler un peu seule, murmurer quelques phrases et puis en saisir l’écho, dans ce lieu inhabité que les autres laissaient à l’abandon, comme une pièce inutile, ni dedans ni dehors, fleur un peu hybride dont les beautés échappent, par manque de temps, parce que la vie va trop vite. Je dissimulais ces quelques moments de solitude, même à Prune. Ils étaient une respiration, presque une transgression dans le fil des jours heureux qui se bousculaient, au rythme de nos expéditions quotidiennes. Si bien que ces vacances m’ont laissé le souvenir d’une course brûlante, pleine de cris de joie et parfois de fureur, lorsque les esprits se laissaient gagner par une irritation lasse, de tant d’allégresse, de tant de vitesse, de voix qui s’entrechoquent. »
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