On a sauvé le monde, Dominique Fernandez
On a sauvé le monde, Dominique Fernandez, Grasset, 8 Janvier 2014, 589 pages
Un résumé de ces presque 600 pages :
C’est l’histoire de Romain ou « Romano » jeune étudiant français résidant à Rome pour y poursuivre ses études d’art et notamment un mémoire sur son peintre de prédilection : Nicolas Poussin.
Elevé par sa seule mère en compagnie de son frère cadet, il est devenu un jeune homme soucieux de faire bonne impression. Il est de nature plutôt réservée, polie et avec ce sentiment qui lui colle à la peau d’être depuis toujours en-dehors des normes à cause d’une société hypocrite et encore arriérée dans les années 30 et devant cacher sa véritable nature, à savoir, sa préférence pour les hommes que le lecteur devine d’après les sous-entendus presque immédiatement mais qui ne sera vraiment « révélée » que plus tard dans le roman.
Il faut distinguer le narrateur du passé, jeune étudiant naïf, inexpérimenté, gavé d’illusions et peu sûr de lui avec le narrateur du présent qui a le recul des cinquante années qui sont passées et un regard aiguisé par la vie, les expériences vécues et les nombreuses désillusions qui ne seront dévoilées qu’à la toute fin. Le narrateur plus vieux s’adresse à un certain « Arturo » qui conserve sa part de mystère jusqu’aux toutes dernières pages où le lecteur se verra révéler quelques maigres informations sur ce personnage pourtant omniprésent quoique discret et indispensable à ce récit puisqu’il est l’auditoire du narrateur d’aujourd’hui. Personnellement, j’aurais aimé en savoir un peu plus sur ce personnage resté dans l’ombre.
Au début du roman, nous sommes donc à Rome en compagnie du jeune narrateur dont l’inquiétude la plus grande serait que l’on devine sa vraie nature. Il faut remettre les choses dans leur contexte : c’est l’Italie de Mussolini, celui qui se fait appeler « le Duce » et établit des décrets comme on claque des doigts, avec l’exigence d’une obéissance absolue. Le fascisme considère alors l’homosexualité comme une véritable déviance et une façon de déshonorer le Parti. Il en faut alors beaucoup moins pour s’attirer de sérieux ennuis. Romain ou Romano comme il sera plus tard surnommé par ses camarades redoute d’être démasqué si bien qu’il prend les devants et va courtiser une jeune femme italienne dont la famille bourgeoise vit dans un palais appartenant aux descendants mais sans en avoir les moyens et sans, bien évidemment, l’admettre. Le jeune homme ne désire pas cette femme et cet amour courtois digne de Tristan et Iseult : la fin’amor, amour impossible et platonique lui convient totalement. Le gouvernement si prohibitif sous Mussolini encourage une longue période de cour faite de discussions et de promenades sans même pouvoir prendre la main de la bien-aimée. Cette jeune personne semble être de marbre, fade et sans personnalité ce qui convient à Romain qui en tombe même amoureux. Mais bientôt une femme plus sulfureuse qui fait fi des conventions va porter son intérêt sur le jeune narrateur craintif qui essaiera, ne faisant qu’aiguiser le désir de cette femme expérimentée, de mettre le plus de distance avec elle.
A côté de cet étrange et bancal triangle amoureux, une figure centrale fait alors son apparition : un jeune Russe, Igor, qui devient proche ami de Romain en lui demandant conseil pour trouver un peintre sur lequel il pourrait rédiger un mémoire pour ses études d’art. Igor est un personnage qui ne se dévoile pas immédiatement conservant lui aussi une belle part de mystère et d’inconnu qui fascine et inquiète parfois le dénommé Romano. Ce dernier entraîné par Igor est sur le point de devenir un jeune agent combattant résolument le fascisme, à la solde des communistes.
Ce que j’en ai pensé :
Voici un roman fleuve de facture classique et intellectuelle écrit dans une langue soutenue qui, à l’image du peintre Poussin dont il est largement question, ne s’adresse peut-être qu’à un public d’initiés. Quoique… N’ayant pas moi-même la très grande culture artistique de l’auteur mais étant tout de même très intéressée par le sujet, j’ai été séduite par cette large part faite à la réflexion sur l’art, les liens avec le pouvoir, ce qu’est un chef-d’oeuvre, comment il trouve son public… Cette partie pourrait sans doute figurer dans un manuel sur l’art. Et pourtant, c’est bel et bien un roman que Fernandez nous propose avec un héros qui doute, se remet en question, éprouve des regrets sans même réaliser tout le chemin qu’il a parcouru… Fernandez partage sa passion artistique en émaillant son roman _ qui parle avant tout des moyens de lutter contre une dictature et les revers d’une cause qui, si elle pouvait paraître juste à de jeunes idéalistes, s’est révélée trompeuse et meurtrière comme l’Histoire nous l’a appris depuis _ de nombreuses reproductions de tableaux en noir et blanc qu’il analyse et détaille, ce qui lui vaudra certainement de perdre des lecteurs en route désireux de voir évoluer plus rapidement l’intrigue principale.
C’est un roman qui, au final, m’a procuré un vrai plaisir de lectrice grâce à cette visite impromptue d’un musée à l’intérieur d’un roman, du personnage principal attachant jusque dans sa naïveté et ses contradictions, la thématique de la vie sous une dictature que ce soit en Italie sous Mussolini ou en Russie sous Staline et ses conséquences perverses avec des exemples concrets et enfin cette histoire d’amour entre deux hommes aussi secrète que dangereuse et touchante.
Une belle somme romanesque que ce livre destiné à un public de choix.
Un extrait où l’on perçoit la vision des femmes par les jeunes fascistes :
« Ils parlaient beaucoup de femmes, mes camarades, mais sans courir de risques. Au-delà des paroles, s’étendait une zone pour eux interdite. Bras dessus bras dessous, arpentant le corso, ils se contentaient de loucher sur les femmes du trottoir opposé Un oeil glissé de côté, un petit rire entendu, une appréciation plus ou moins détaillée de leurs avantages anatomiques, mais jamais le courage de traverser la rue. L’estimation, sans être triviale, prenait rarement en compte ce qui était au-dessus de la ceinture. « Quelles jambes ! Quelle croupe ! » Lorsque, par une transgression de la bienséance lexicale, ils étaient allés jusqu’à s’exclamer: « Che culo ! », ils ne croyaient pas qu’on pût aller plus loin dans la hardiesse. Parfois, entrés derrière une étrangère dans un bar, ils buvaient un café, accoudés au comptoir, le plus lentement possible, à petites gorgées précautionneuses, pour avoir le temps d’apprécier ses charmes sans être contraints de l’aborder.
Leur couardise, ils se la pardonnaient en invoquant les mille liens qui entravent à Rome les mouvements d’un jeune homme et rendent impossible un Casanova moderne : la mamma à épargner, toujours jalouse, les cousines amoureuses à ménager, la surveillance du père à déjouer, la réputation de virginité (oui, même masculine) à défendre, pour le jour où la question du mariage se poserait, les études à poursuivre, les examens à réussir, la situation matérielle à assurer _ et, pour eux, à l’intérieur de l‘Institut, la peur du conseil de discipline, s’ils enfreignaient le règlement. »
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