L’insouciance, Karine Tuil
L’insouciance, Karine Tuil paru le 18 Août 2016 chez Gallimard, 524 pages.
Karine Tuil, après son remarqué L’invention de nos vies, publie avec L’insouciance son dixième roman qui est couronné par le Prix Landerneau, un prix sélectionné par les libraires des espaces culturels ainsi que, pour cette première année, par des lecteurs passionnés qui parmi les quatre finalistes (Eclipses japonaises, Eric Faye, Continuer, Laurent Mauvignier, Le dernier des nôtres, Adélaïde de Clermont-Tonnerre et L’insouciance, Karine Tuil) ont élu Karine Tuil.
Mon résumé de L’insouciance :
L’on suit principalement la trajectoire complexe de quatre protagonistes. Il y a pour ainsi dire plusieurs romans en un. Après avoir fait la guerre d’Afghanistan, Romain est un homme dévasté. Une épouse dévouée et leur fils les attend en France mais lors du petit séjour de décompression proposé aux soldats, il tombe sous le charme de la journaliste Marion avec qui il a une liaison qui semble devoir se poursuivre. Il apprend plus tard que cette dernière est mariée à François, un riche entrepreneur faisant souvent la une des tabloïds et jouissant d’une véritable aura jusqu’à une malencontreuse photo qui le verra taxé de racisme à cause d’un geste maladroit. Les critiques sont virulentes et plutôt unanimes jusqu’à ce qu’Osman, fils d’immigrés ivoiriens et par ailleurs ami d’enfance de Romain, ayant une place politique de choix décide de prendre publiquement la défense de François ce qui servirait sans doute également ses intérêts propres.
Dans la tourmente d’un monde souvent cruel et égoïste, les personnages se révèlent bien souvent versatiles et surprenants. Ce monde de faux-semblants les oblige à se révéler dans l’adversité et l’on voit comme tout peut soudainement basculer d’un côté comme de l’autre.
Mon avis sur L’Insouciance :
Quatre trajectoires humaines, dont le lien se dessine peu à peu, prises dans la tourmente de la guerre (retour d’Afghanistan), les arcanes du pouvoir politique, le tourbillon du désir, restituées à merveille par une romancière de talent qui a pleinement étudié son sujet et le retranscrit dans un élan romanesque sans faille. Le tout est très dense, passionnant.
L’écriture est parfaitement maîtrisée, l’on pourrait malgré tout souligner une certaine pauvreté dans la description des lieux et personnages et un vocabulaire parfois savant qui pourrait repousser certains lecteurs. Le sujet, d’abord difficile, est ici rendu à la perfection. L’auteure a passé du temps à se renseigner et à pénétrer ce drôle de monde qui nous est généralement inaccessible. Les débats d’idées qui déchirent certaines groupes sont exaltants car étayés de chaque côté et cela est brillamment rendu dans ce livre.
Sans doute un des romans les plus ambitieux de cette rentrée littéraire 2016 ! Indéniablement marquant.
Place à l’extrait :
« Vous ne serez jamais préparé à la culpabilité d’avoir accordé l’ordre de tirer sur une cible suspecte parce que c’est la procédure, et de découvrir que c’était une femme enceinte qui cherchait de l’aide, dix-huit ans pas plus, comment savoir si elle ne dissimulait pas une bombe sous sa burqa. Et pourquoi lui auriez-vous fait confiance ? C’était elle ou vos hommes – quelle importance puisqu’il l’a tuée, exécutant Votre volonté, obéissant à Votre ordre-, sa mère vous maudira, vous et vos enfants, jusqu’à la cinquième génération et formera les enfants qui lui restent à vous haïr, et ils vous poursuivront jusque chez vous, et ils vous détruiront par le feu et les bombes, la terreur et la menace, l’épée et le glaive, comme dans un récit biblique, ils se vengeront… Vous ne serez jamais préparé à la peur qui vous troue le ventre au moment où vous apercevez un fil qui dépasse et il faudra bien en faire quelque chose parce que si vous ne faites rien, un enfant finira par le défouir pour se fabriquer une marionnette et alors c’est lui qui finira désarticulé ; vous appellerez le démineur, mais, même habitué à toutes ces missions, vous n’êtes jamais sûr qu’il ne va pas déflagrer sous vos yeux pendant que sa femme est en train de tester un nouveau gel douche ambre-huile d’argan, mandarine-orange, des mélanges aphrodisiaques, tout ce qui pourrait l’exciter à son retour… »