La maison atlantique, Philippe Besson
La maison atlantique, Philippe Besson, Julliard, 09 Janvier 2014, 217 pages
Résumé :
L’incipit annonce d’emblée la couleur : « Je suis orphelin, ce sont des choses qui arrivent. » Le narrateur âgé de dix-huit ans a perdu sa mère deux ans auparavant dans des circonstances qui nous seront expliquées plus tard dans le roman. Alors qu’il semble avoir été proche et respectueux de sa mère, les rapports avec son paternel sont bien plus compliqués et conflictuels.
C’est l’été de sa terminale, il espérait profiter du soleil et de l’art du farniente (qu’il semble maîtriser à la perfection) entouré de ses amis dont il sait pertinemment que les chemins vont se séparer à la fin des vacances. Or son père en a décidé autrement. Il emmène son fils dans la « Maison atlantique », une maison de vacances au bord de mer, la maison familiale dans laquelle se plaisait à séjourner la mère. Le but de ces vacances serait, selon les dires du père, de renouer le lien avec son fils mais ce dernier pense qu’il s’agissait plus sûrement d’une décision irréfléchie de la part de son père, un acte manqué, une réponse pratique quant à la destination des vacances.
Le moins qu’on puisse dire c’est que le fils nourrit un ressentiment sévère envers son père qui se mue peu à peu, au fil de ce séjour, en une haine coriace et dangereuse.
Ces quelques semaines dans cette maison font ressurgir des souvenirs douloureux pour le jeune adulte. Avant la mort de sa mère, ses parents étaient déjà séparés, son père ayant allègrement trompé sa femme ce qui, selon le narrateur, a causé sa perte.
Le jeune homme passe ses vacances étendu face au soleil, il fait la rencontre d’une jeune femme séduisante, un amour d’été. Il se promène, esquive son père. Mais l’on devine que ces deux-là devront croiser le fer à un moment donné. Il y a trop de rancune, de rage et de colère contenues depuis si longtemps chez le narrateur. Son père, il est vrai, ne semble pas particulièrement essayer de passer un moment privilégié avec son fils même si celui-ci ne lui en laisse absolument pas l’opportunité. Il va faire ce qu’il sait si bien faire, à savoir, s’enticher d’une femme inaccessible et s’arranger pour la conquérir ce qui répugne d’autant plus à son fils que cela se joue sous ses yeux sans grande retenue ni pudeur.
La machine infernale est en marche, prête à broyer des vies.
Mon avis :
Philippe Besson propose un roman de vacances aux antipodes du genre : ni léger, ni joyeux et même les histoires d’amour de cet été si marquant semblent, dans leur inconséquence même, être en permanence voilées d’un nuage sombre. Le style est soigné et joue sur les contrastes rythmiques : écriture incisive et tranchante avec toutefois cette sensation de langueur, de lenteur ou de scène au ralenti qui fait augurer du dénouement.
C’est un roman d’ambiance où la tension est aiguisée au fil des pages et notamment des anticipations du narrateur qui distille quelques éléments avant de revenir en arrière. C’est ce suspense finement dosé qui enferme le lecteur dans ses interrogations et qui ne le fait pas lâcher son livre.
Outre la thématique père-fils et le portrait au vitriol qu’en fait le fils, l’auteur exploite d’autres thématiques avec habileté : la quête d’identité, certains choix qui déterminent une vie entière, l’adultère, la responsabilité de chacun face à ses actes, le prix des conséquences, la lâcheté humaine… Si le fils regarde sans concession son père, cet été-là le verra agir de façon peu glorieuse et son absence d’empathie et de compassion, le fait qu’il s’érige en juge donne au lecteur une image en demi-teintes : un enfant abîmé par la vie qui semble être en passe de devenir un homme froid. Dans la mesure où Besson ne donne voix qu’au fils, difficile pour le lecteur de se forger une image équitable du père. Et cette ambiguïté travaillée persiste jusqu’à la fin. Un roman beau et puissant.
Un extrait ou une fenêtre ouverte sur cette maison atlantique
« Je suis allé rejoindre Agathe.
Elle sirotait une limonade à la terrasse d’un des cafés du front de mer.
Je me suis plaint mollement auprès d’elle (de quoi, je ne me le rappelle plus – probablement de ces vacances). En retour, elle s’est moquée de moi. Son petit rire m’a énervé. Un petit rire de petite fille qui boit de la limonade avec une paille. Un peu bête, un peu méprisant. Le genre de rire qui nous dit : comme tu es ridicule, quand même ! J’aurais pu la planter là dans l’instant (j’en étais capable, j’étais même coutumier de ces foucades, oui, moi, le branleur), mais son odeur, qui me plaisait beaucoup, m’a retenu et puis, à la vérité, cela exigeait trop d’efforts de s’extraire d’une étreinte.
De toute façon, je lui étais soumis. A la première minute, je me suis soumis à elle. Je ne désirais rien, elle désirait pour nous deux. J’étais un garçon avide et paresseux, elle prenait les rênes. Cela était entendu sans que nous ayons besoin de le formuler. Objectivement, je n’ai jamais trouvé désagréable ou humiliant de me laisser porter par quelqu’un. De me laisser dominer. Au contraire. Il y a de la volupté dans l’abdication.
Un psy m’aurait probablement expliqué que je tentais de renouer avec le lien maternel, que je cherchais ma mère chez mes petites amoureuses, que cet abandon me rappelait le temps où j’étais bercé, protégé par elle et je l’aurais probablement envoyé se faire foutre.
Mais peut-être que c’était vrai après tout, peut-être que les présences féminines compensaient une absence mais quelle importance ? Hein, quelle importance ? Ce qui importait, c’était de se blottir, d’embrasser la peau douce, de céder à la niaiserie des amourettes, de se débarrasser pour quelques instants de l’obligation de la virilité en représentation, de cesser de jouer les caïds et de devenir mou, inconsistant, vaguement tendre, faussement attentif, réellement indolent.
Agathe a claqué un baiser sur ma bouche, pour rappeler que rien précisément n’avait d’importance, et que seule comptait la sensation du soleil sur nos visages, sur nos bras nus. Elle s’est levée d’un bond, a saisi ma main et m’a entraîné. En me levant à mon tour, j’ai failli renverser la table, grand dadais maladroit. Et je l’ai suivie. J’ai suivi une silhouette dans l’été maritime. »
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Bonjour,
j’ai lu un roman de Philippe Besson qui ne m’a pas plu et n’ai pas renouvelé l’expérience. Il fait à mes yeux partie de ces auteurs français un peu misérabilistes, souvent plombants. Comme Olivier Adam… on sait qu’on ne va pas rigoler en ouvrant un de leurs romans… je trouve qu’ou bout d’un moment, c’est plus une pose qu’autre chose… mais je n’ai pas tout lu, il y en a certainement de meilleurs que d’autres.
Sandrine Articles récents…Hécate – Frédéric Jaccaud
Je ne suis pas une spécialiste de l’oeuvre de Besson mais je ne crois pas que ce soit toujours une ambiance plombante, dans ce dernier, on se rapproche davantage d’une atmosphère tendue un peu comme dans un policier. Pour ce qui est d’Olivier Adam, je l’aime beaucoup parce que même si ses livres sont sombres, on y trouve une vraie humanité et un brin d’espoir même ténu. J’ai beaucoup de mal avec le misérabilisme dont vous parliez comme dans le dernier roman de Nina Bouraoui : « Standard » où le héros est petit, fade, indigne et se contente d’une vie totalement insipide sans évolution possible et là c’est vraiment se vautrer dans une complaisance morbide ce qui n’est pas le cas, selon moi, d’Olivier Adam ou du dernier Besson même si évidemment, ce n’est pas la franche rigolade en lisant ces auteurs !
Bonnes lectures et merci pour ce commentaire !
Je suis en train de le lire. Je reviens donc ici dans peu de temps pour t’en dire plus. La comparaison avec Olivier Adam est assez juste, même si je n’aime pas vraiment les livres de ce dernier, hormis « Je vais bien, ne t’en fais pas ».
A bientôt, donc!
« La maison atlantique » est le premier livre de Besson que je lis. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre et la surprise a été totale.
Dès les premières pages, on comprend que l’on ne va pas rire, comme le suggère le commentaire précédant de Sandrine.
Le narrateur, jeune garçon de 18 ans, a perdu sa mère à l’âge de 16 ans. Mais il annonce qu’il a aussi perdu son père et l’histoire qu’il nous raconte est celle de ses dernières vacances avec celui-ci. Des vacances à la maison atlantique, la maison de sa mère, la maison où celle-ci est morte. La maison où elle s’est suicidée, désespérée par l’attitude de son mari odieux, ingrat, infidèle.
Les vacances que nous raconte Raphaël lui ont été imposées par ce père qu’il déteste et surtout qu’il juge. Pendant leur séjour, celui qu’il considère comme son géniteur va séduire une jeune femme en vacances avec son époux dans la maison voisine.
Le rapprochement avec Olivier Adam s’impose, selon moi. J’y retrouve la même ambiance: lourde et déprimante. Toutefois, le plus, ici, c’est que la fin m’intriguait et que je voulais la connaître. Tous les chapitres sont très brefs, on les enchaîne vite.
En ce qui concerne les personnages, j’admets que le père est un homme abject. Toutefois, Raphaël, le narrateur, m’a également beaucoup agacée. Il considère son père comme responsable de la mort de sa mère et lui reproche de ne jamais s’être occupé de lui. Certes, on ne peut que le comprendre! Mais vraiment, lui aussi m’a énervée: il est nonchalant, désabusé, mais si prompt à juger!
Comme je le disais au début de cette critique, c’est la première fois que je découvre l’écriture de Besson. Il analyse en profondeur les sentiments, les états d’âme. En chirurgien des sentiments, son récit est tellement réaliste que j’ai été prise de doutes et j’ai un moment cru lire une autobiographie. Que nenni! Il s’agit bien d’un roman et en cela je reconnais un véritable talent à Philippe Besson.
Au final, une bonne lecture, surprenante, mais à lire quand on a le moral!
Merci beaucoup pour ce commentaire très juste et détaillé !! Je te recommande le dernier Besson (finaliste du prix Landerneau) Vivre vite sur James Dean.