Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, Mathieu Belezi
Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, Mathieu Belezi, paru chez Flammarion le 7 Janvier 2015, 256 pages.
Avec Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, Mathieu Belezi clôt sa trilogie algérienne commencée par le très remarqué C’était notre terre paru en 2008, récompensé par le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres et poursuivie avec Les vieux fous en 2011. Néanmoins, si ces trois volumes évoquent le même sujet sous des angles différents, ce ne sont pas des suites à proprement parler et les personnages ne sont pas les mêmes. On peut tout à fait commencer par ce dernier, c’est d’ailleurs ce que j’ai fait et ce n’est en rien gênant.
L’histoire :
Fin 1860. Emma Picard est veuve et doit s’occuper de ses quatre enfants. Lorsque l’État lui offre une parcelle de terre agricole en Algérie française, elle y voit un signe favorable et l’espoir d’un nouveau départ.
Résistante, courageuse, très travailleuse, Emma s’attelle à la tâche dès son arrivée. Ce n’est pas chose aisée. La terre est aride, le puits insuffisant. Les dés semblent pipés dès le départ.
Le lecteur est prévenu. La terre était maudite tout comme Emma et les enfants. L’histoire est narrée par cette dernière qui s’adresse au dernier fils « Léon » encore vivant mais qui semble néanmoins très mal en point. Dans une urgence narrative, Emma veut raconter son histoire et cet échec cuisant telle une justification nécessaire au déroulement des événements qui l’ont conduite à cette extrémité.
Le temps d’une nuit, elle déroule le fil de la narration sans pause car le temps presse, ce que retranscrit à merveille le choix audacieux et intelligent de l’auteur de supprimer les points sauf dans les dialogues…
Le lecteur est happé et suspendu à sa lecture dont il devine déjà la noirceur et l’âpreté. En effet, malgré un courage admirable, Emma ne peut que constater l’étendue de son erreur quant au choix d’être venue ici. Aidée de son « arabe » et de son amant français, elle a essuyé bon nombre de catastrophes comme bon nombre de colons à cette époque terrible. Sécheresse, orage violent, famine, pluie de sauterelles, maladie…
Elle s’est relevée encore et encore, se battant, jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à cette nuit où elle entame ce récit lucide et désespéré.
Mon avis :
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce roman de Belezi ne saurait laisser indifférent. Ce récit coup de poing nous mette en présence d‘Emma Picard, une héroïne incarnée inoubliable, poignante, forte et courageuse à l’excès, un rien gagnée par la folie. Belezi revient avec passion sur un épisode historique peu connu : l’arrivée des premiers colons en Algérie. Sombre et fulgurant, ce livre est traversé par un souffle romanesque qui n’est pas sans rappeler les plus beaux chants de désespérance des tragédies antiques.
A lire sans plus attendre.
Un grand bravo pour ce finaliste du prix Landerneau, mon coup de coeur !
Un extrait de ce roman traversé par un souffle épique incomparable :
« je courais comme une folle, et lorsque je me suis sentie à bout de forces, le souffle coupé et les jambes molles, j’étais arrivée au sommet d’un tertre, c’était la tombée du jour, mais le soleil avait encore assez de force pour éclairer la terre, et en regardant les alentours j’ai constaté que tout avait été pareillement dévasté, pareillement dévoré, qu’aux quatre coins des horizons il ne demeurait pas la moindre parcelle de verdure, Dieu, ou je ne sais trop qui, Dieu sans doute s’était si bien organisé que l’oeil n’avait aucun moyen de s’échapper, de se rassurer, de reprendre espoir
c’était vraiment ça le pire
Je me suis accroupie au sommet du tertre, me balançant sur mes chevilles d’avant en arrière, et mes quatre fils sont venus s’asseoir à côté de moi, m’ont entourée de leurs bras, pressée contre eux, cajolée
Jules était resté à l’écart en compagnie de Mékika, ils arpentaient le champ de blé dont toutes les tiges avaient été mangées, fouillaient la terre avec leurs mains, essayaient de savoir si les sauterelles avaient ou non pondu leurs oeufs
dans la lumière indifférente de ce soir d’Algérie le temps paraissait s’être immobilisé, et nous autres, pris sans le savoir dans cette immobilité de marionnette, avions comme cessé de vivre, cessé de respirer, cessé d’être, alors que le soleil n’en finissait pas de chuter au-dessus de l’horizon, et que les hirondelles avaient les ailes clouées au ciel »
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