Mon année Salinger, Joanna Smith Rakoff
Mon année Salinger, Joanna Smith Rakoff, paru chez Albin Michel en Août 2016 et en poche chez Pocket en Mars 2016, traduit de l’anglais par Esther Ménévis, 334 pages.
Joanna Smith Rakoff a été journaliste pour de nombreux magazines. Elle a publié Le plus bel âge, portrait d’une jeunesse new-yorkaise à la fois bourgeoise et désabusée avant d’écrire celui-ci qui est le récit de son année passée dans une grande agence littéraire dont le nom ne nous sera pas révélé.
L’histoire du récit de Joanna Smith Rakoff :
Joanna, jeune diplômée de lettres, s’installe à New York avec son petit-ami dans un minuscule appartement où ils devront laver la vaisselle dans la baignoire et se chauffer avec un four ouvert. Son ami, Don, est comme elle, immergé dans le monde des livres, de l’écriture, des cafés où il est bon de se montrer, de certaines petites sauteries d’intellectuels. Joanna va se faire embaucher dans une agence littéraire en vogue où elle gagnera à peine de quoi vivre dans cette ville en pleine ébullition de la fin des années 90.
Joanna se plonge avec ferveur et sérieux dans ce microcosme littéraire qui n’a pas encore fait son entrée dans la modernité. Dans les bureaux sombres où les bruits de pas sont absorbés par la moquette épaisse, on tape tout à la machine, il y a même un vieux dictaphone vestige d’une époque pourtant révolue et les courriers et coursiers n’ont pas encore été évincés par l’arrivée des mails.
Joanna fait ses armes dans ce monde où la patronne, charismatique et excentrique, règne avec sa conception bien personnelle du métier. Sur les étagères en bois, Joanna admire, fascinée, les nombreux livres qui s’alignent. Les anciennes éditions côtoient des plus récentes. Comme celles de Salinger, le plus prestigieux client de l’Agence et le plus exigeant, a priori, pour lequel la patronne de Joanna a une foule de recommandations à faire. Car il ne faudrait surtout pas froisser le grand Jerry !
Salinger ne fait pas partie des auteurs que Joanna a lus mais elle ignore encore à quel point cette rencontre littéraire sera déterminante pour son avenir et combien son métier d’assistante va lui apporter pour sa vie professionnelle future.
Ce que j’ai apprécié et ce qui m’a manqué dans Mon année Salinger :
On est plongé au coeur d’une ville, dans ses quartiers, ses particularités, les contrastes et contradictions d’une très grande ville en plein essor. L’on suit le personnage principal au rythme des saisons ce qui donne encore mieux à voir l’importance géographique de ce récit. Ce qui est fascinant dans ce livre, c’est qu’on a l’impression d’épier un monde habituellement hors de portée, secret, empli de codes qui nous échappent. Et ici, avec vérité et authenticité, cet univers opaque et foisonnant, celui de l’édition, des agents littéraires, des écrivains américains, du journalisme nous est ouvert sans détours et décrit à travers l’œil d’une jeune passionnée qui est aussi novice que décontenancée par certaines pratiques. Tout comme nous. Et en cela, la narratrice nous est proche.
Elle nous conduit également dans son intimité mais en laissant toujours une large distance de sécurité. De temps à autre, elle ébauche un sujet qu’elle ne développe pas davantage : concernant ce qu’elle découvre sur Don ou bien certaines de ses relations amicales, son passé amoureux… Cet aspect est quelque peu regrettable de même qu’un style littéraire qui ne m’a pas paru très affirmé, parfois plat ou trop journalistique, sans grande émotion. Surtout au début.
Ce roman, réservé à ceux qui sont passionnés par la culture américaine littéraire, le monde de l’édition ou encore la vie new yorkaise, contient de bons moments et donnera envie de lire ou relire l’œuvre de Salinger qui a, on le découvre dans ce récit, accompagné, influencé et guidé moult lecteurs souvent frustrés de son silence obtus.
Un petit extrait dans lequel on pourrait presque sentir l’odeur des livres !
« Mais avant d’avoir franchi la voûte, je remarquai une minuscule vitrine faiblement éclairée sur ma gauche : un marchand de livres anciens. Je retins mon souffle, ravie. J’avais séjourné dans des hôtels de ce genre quand j’étais enfant, avec mes parents : le King David à Tel Aviv, le Breakers à palm Beach, le Brown à Denver. Avant le dîner, ma mère et moi furetions dans les boutiques du hall, où nous essayions lunettes de soleil, pendentifs et foulards. Mais bien sûr, à New York – la capitale culturelle du pays -, on ne pouvait envisager de palace sans librairie.
Je m’étais assez rapprochée de la vitrine pour pouvoir distinguer certains titres : un exemplaire magnifiquement orné de Don Juan ; une gigantesque édition de Peter pan avec ce qui semblait être les illustrations originales ; la reliure vert mousse d’Alice au pays des merveilles. Et là, au centre – la place la plus en vue de la devanture -, un livre d’un rouge flamboyant, un livre dont la couverture m’était si familière que je faillis ne pas la voir, et lorsque je la vis, j’eus un sursaut, tant il était étrange de trouver cet ouvrage hors de son contexte. Il s’agissait, bien entendu, d’une première édition de l’Attrape-coeurs, avec l’illustration extravagante et superbe de Michael Mitchell figurant l’étalon cabré de rage, ou de frayeur. Je savais maintenant -par Hugh- que Mitchell avait été le voisin de Salinger à Westport et qu’il avait dessiné ce cheval spécialement pour l’occasion. Pour la version brochée, l’éditeur avait choisi une couverture plus explicite – Holden Caufield en casquette de chasseur rouge -, que Salinger, comme on pouvait s’y attendre, avait détestée. L’Agence, en bonne alliée de Salinger, ne conservait aucun exemplaire de cette édition décriée. »