Mes amis devenus, Jean-Claude Mourlevat
Mes amis devenus, Jean-Claude Mourlevat paru chez Fleuve éditions le 12 Mai 2016, 218 pages.
Après nous avoir régalé de ses romans jeunesse à l’imaginaire fantastique, récompensé par des prix litétraires, Jean-Claude Mourlevat entre dans la cour des grands enfants avec son précédent roman coécrit avec Anne-Laure Bondoux, auteure de jeunesse également : Et je danse aussi (cf mon article) roman des plus enthousiasmants et ce dernier, écrit seul, Mes amis devenus.
Le sujet du roman :
Silvère, songeur, fixe l’horizon au large de l’île d’Ouessant où il est arrivé le premier. Il attend le bateau qui va lui amener quatre amis. L’un d’entre eux est un frère pour lui et ce, depuis longtemps. Ils ne se sont jamais quittés contrairement aux autres qu’il n’a pas revus depuis quarante ans. L’une fut son amour de jeunesse. C’est son ami Jean qui est à l’initiative de ces retrouvailles tardives. Ils ont trouvé une maison sur cette charmante île et tous ont répondu à l’appel. Est-ce une bonne idée ? se demande Silvère. Ils se sont perdus de vue. Que sont devenus les amis et les amours de jeunesse à l’épreuve du temps qui a filé ? Ne s’exposent-ils pas à des regrets ou à des silences gênés si le seul lien qui les unit appartient au passé ? Avec appréhension et excitation, Silvère guette l’arrivée du ferry. Et il se remémore. Ses années de jeunesse. Son enfance atypique aux côtés d’un jeune père qui l’a d’abord élevé seul, en compagnie tout de même du chien Bobet qui gardait consciencieusement un œil sur le nourrisson. Son adolescence dans son petit village puis à l’internat où il rencontre le fameux Jean qui sera le meilleur compagnon de sa vie entière. Et les autres amis, ceux de l’adolescence, qui vous changent profondément et à jamais, même quand on les perd…
Entre deux tranches de vie douces-amères, entre nostalgie et dérision, le personnage si humain et drôlement attachant de Silvère nous convie à un voyage des plus plaisants : celui qui nous fait remonter le temps d’une vie humaine avec son lot de joies, de déconvenues, de regrets certainement et de petits délices.
Et bien évidemment, le cœur battant, nous attendons l’arrivée du petit groupe et notamment la belle Mara qui semble-t-il a fait chavirer le cœur de plusieurs de ses amis…
Mes impressions de lectrice sur le dernier Jean-Claude Mourlevat :
Humour, tendresse, amitié et douce nostalgie sont les maîtres mots de ce petit roman poignant et écrit avec beaucoup de délicatesse. Attention, une fois le livre refermé, vous risquez d’avoir envie d’embarquer pour la charmante île d’Ouessant et d’y convier ceux qui vous sont proches…
Mourlevat, avec subtilité et brio, nous parle de ce qu’est une vie humaine, de l’amitié et de l’amour, des pertes et des regrets avec une belle appétence pour la vie qu’il saisit d’une plume alerte.
Chaque chapitre ouvre sur un véritable microcosme avec un titre intriguant qui résume, sous forme énigmatique, les sujets abordés.
Voici un roman délicat qui se savoure, que l’on a envie d’offrir et qui nous emporte. C’est la magie de l’auteur : faire d’une histoire ordinaire un moment extraordinaire dont le lecteur se délecte.
C’est avec regret que l’on tourne, trop vite, la dernière page entre émotion et amusement…
Merci à Monsieur Mourlevat !
Un extrait qui nous plonge dans les souvenirs tourbillonnants des émois d’un adolescent :
« Le bon sens voudrait qu’avant de tomber amoureux on prenne le temps d’observer la personne concernée sous toutes ses coutures, qu’on prenne connaissance de son milieu social, qu’on évalue son niveau de raisonnement, sa sensibilité, son humour. Il faudrait aussi avoir vérifié qu’elle n’a aucun défaut rédhibitoire, qu’elle n’est pas Australienne par exemple, ni végétalienne stricte. Une fois tous ces éléments pris en compte et bien pesés, alors oui, on pourrait s’engager.
Je ne me suis pas conformé du tout à ces sages principes.
C’était en cours de géométrie, à la rentrée de la Toussaint. Elle était la nouvelle, donc, et le hasard a placé son joli dos et ses jolies épaules devant moi. Elle a demandé une gomme à sa voisine. Comme celle-ci n’en avait pas, elle s’est retournée : Tu aurais une gomme, s’il te plaît ? Ses yeux sombres, à peine bridés, ce jour-là, dans cet angle-là, dans cette lumière-là, ne m’ont pas laissé l’ombre d’une chance. Deux jours plus tard, dans le même cours et la même situation, j’ai tapoté son épaule pour la faire se retourner encore, et cette fois je me suis senti fondre.
Il en était ainsi : ses yeux dans les miens modifiaient ma chimie. Le croisement de nos regards avait sur moi le trilple effet de la brûlure, de la caresse et de la noyade. Cela se perpétue dans mon souvenir et il est probable que je mourrai avec.
J’ai repéré aussi, entre autres choses, les deux plis verticaux au milieu de ses lèvres, les deux petits sillons, un en haut, un en bas, comme si l’abondance de chair, le trop-plein, les avait imposés, en accordéon, afin que toute la matière y passe. Je lui ai demandé : Est-ce que tu as besoin de ma gomme ? Elle m’a montré qu’elle en avait apporté une cette fois. Le lendemain, j’ai encore tapoté son épaule et je lui ai demandé : Est-ce que tu as besoin de ma gomme ? C’était risqué, tout le monde n’est pas sensible au comique de répétition. Mais elle a ri, et j’ai vu ses épaules tressauter. Mon voisin, un nommé Fred, m’a glissé : Tu as un jeton ou je rêve ?«