La nuit avec ma femme, Samuel Benchetrit

1540-1La nuit avec ma femme, Samuel Benchetrit, paru le 25 Août 2016 en coédition chez Plon Julliard, 135 pages.

Samuel Benchetrit est l’auteur de plusieurs romans dont ses Chroniques de l’asphalte en cinq volumes où il évoque notamment ses origines en banlieue avec un humour très vif et le très beau  Cœur en dehors.

L’histoire de La nuit avec ma femme :

Il revient sur le meurtre de la mère de son fils, Marie Trintignant sous les coups de son compagnon, le chanteur Bertrand Cantat en Lituanie en 2003. Beaucoup de temps a passé, il a fallu des années à l’auteur pour écrire sur ce que l’on peut qualifier d’un fait divers à scandale impliquant des célébrités mais qu’il a vécu comme un drame intime le touchant personnellement. Car même s’ils ne vivaient plus ensemble, elle était la mère de leur petit garçon si bien qu’ils se sont retrouvés sous les feux des projecteurs malgré eux. Et comment expliquer la vérité à ce tout jeune fils qui essuie les quolibets de ses petits camarades d’école parfois cruels comme peut l’être le monde de l’enfance ? Loin d’être une déclaration de haine, de rancune ou une volonté de salir l’ex-chanteur du groupe Noir Désir , celui qui endosse la figure du délaissé, du laissé pour compte, réitère une déclaration d’amour à celle qui lui a fait découvrir la vie de couple, la vie de famille, qu’il a épousée et qu’il dirigera dans certains de ses films.

Mon avis sur ce Benchetrit :

Ni voyeuriste, ni impudique, ce très beau roman parle de la perte, de l’amour sous ses différentes formes (celui de Marie au centre du livre, Benchetrit la restitue en interpellant une Marie fictive presque ressuscitée mais il y a d’autres figures féminines essentielles à l’écrivain qu’il laisse simplement entrevoir), de la violence d’une double séparation (la première à l’initiative de Marie lui préférant un autre homme, la seconde très violente de cette mort prématurée) et de son rôle essentiel de père d’un petit garçon orphelin de mère.

Très poétique, l’écriture transcende le quotidien par l’œil aiguisé de l’auteur qui traque la plaisanterie jusqu’à l’absurde dans tout ce qui l’entoure. Sans jamais être larmoyant, ce roman happe son lecteur dès les premières pages par la beauté imaginative de son écriture, le réalisme d’une histoire racontée sans fard ni pathos. L’exercice était hautement risqué, Benchetrit a relevé brillamment le défi. Quel artiste !

Un extrait où le lecteur se glisse dans l’intimité de Samuel et Marie :

« Tu veux une cigarette ? On la partage ? On ira boire aussi. J’aimais bien qu’on se donne rendez-vous dans des cafés. On se racontait nos vies. Celle des petites heures passées l’un sans l’autre, et la longue vie d’avant, où l’on se rend compte de notre presque mort, presque vie. Je pense à toi au milieu des autres. J’aimerais bien qu’on parle de ce coup de téléphone. Tu me raconterais et je ferais semblant de ne pas savoir ce que tu vis. Et puis on parlerait d’autre chose pour se foutre la paix. Te souviens-tu de la dernière fois où l’on s’est vu ? En vrai je veux dire. Sur cette place. Juste avant ton départ pour ce pays. Je ne voulais pas. Mais il fallait qu’on signe des papiers. Des papiers inutiles. Je travaillais et je ne voulais pas te voir. Et cela faisait plus d’un mois que je ne t’avais pas vue. C’était le record de nos vies mêlées. Tu as insisté. Il faut qu’on signe ce papier ensemble parce que nous sommes mariés. Quel était ce papier, je ne sais plus. Et puis, ce n’était pas vrai. Tu n’avais pas besoin de ça pour moi. Il fallait que tu me voies un peu avant de partir. J’ai signé le papier et nous sommes descendus dans un ascenseur. Tu me regardais. Tu souriais. Tu as dit Allez Samuel. Allez Samuel. Je l’entends encore parfois. Comme mon père m’encourageait au foot. Nous sommes allés prendre un café sur cette place. Tu es beau. Tu me manques. Tu me manques beaucoup. Je vais partir. Seule. Je vais faire ce film. Et après j’y verrai clair. »

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