Désolée, je suis attendue, Agnès Martin-Lugand
Désolée, je suis attendue…, Agnès Martin-Lugand, le 14 Avril 2016, 376 pages.
Agnès Martin-Lugand publie son quatrième roman. Son premier roman Les gens heureux lisent et boivent du café a été une révélation pour cette jeune romancière qui avait d’abord mis son livre sur internet. Son troisième roman, La vie est facile, ne t’inquiète pas était une suite réussie du premier.
L’histoire de Désolée, je suis attendue :
Yaël est une trentenaire parisienne toute entière absorbée par son travail. Elle est interprète dans une société importante. A force de travail – elle ne s’épargne pas – elle est devenue le bras droit du patron. Hyper exigeante envers elle-même et ses collaborateurs, ni particulièrement sympathique, ni drôle, elle ne laisse rien au hasard que ce soit dans son job ou dans sa vie personnelle. Une vie privée qui est d’ailleurs très réduite car Yaël ne s’intéresse que très moyennement à ses amis, sa famille et bien évidemment, elle ne s’encombre pas d’un petit-ami. Elle a tout de même gardé des liens avec sa bande de potes de fac dont sa sœur faisait partie mais ce n’est plus pareil. Ils sont en couple, ont des enfants et ne comprennent pas son besoin irrépressible de réussir, de faire carrière, de ne jamais compter son temps ni ses efforts, peu importe le sacrifice. Pour Yaël, c’est une chance inouïe de pouvoir faire ce qu’elle aime et s’y consacrer pleinement. Aux yeux des autres, elle se tue à la tâche et n’est jamais disponible. Même quand elle est là, elle semble devoir repartir presque aussitôt. Elle n’a plus la fougue, l’insouciance et la drôlerie d’autrefois.
N’aurait-elle pas égaré en chemin un petit bout d’âme ? A ce club d’amis de longue date, il y a tout de même un grand absent qui a quitté le groupe du jour au lendemain et n’a jamais plus donné de nouvelles ni reparu. Yaël et lui semblaient très liés. Que s’est-il passé ? Yaël a tourné la page. Juchée sur ses escarpins et engoncée dans sa jupe crayon noire, avec une discipline de vie drastique, Yaël ne regarde pas en arrière. Sauf qu’un événement à la saveur particulière, aussi chaude que piquante, risquerait peut-être d’ébranler cette working girl insatiable. Cette droguée du travail parviendra-t-elle à redécouvrir la vraie saveur des petits bonheurs qui rendent la vie plus douce ?
Ce que j’ai pensé du dernier Martin-Lugand
Comme d’habitude, le roman se lit vraiment tout seul. On tourne les pages sans problème avec l’envie de poursuivre et de connaître le fin mot de l’histoire. Avec cette romancière comme avec Agnès Ledig ou Lorraine Fouchet, l’on est pris par l’histoire des personnages et par une écriture simple et juste. Bien qu’ayant trouvé le personnage de Yaël un tantinet caricatural, peut-être exagéré parfois, surtout dans l’idée qu’elle n’était pas du tout la même quelques années plus tôt et d’ailleurs ses amis se montrent très compréhensifs envers elle ; je me suis prise au jeu. Martin-Lugand ancre son personnage dans un quotidien émaillé de détails qui rendent l’ensemble concret et réaliste aussi, de même que le milieu professionnel dans lequel elle évolue est très bien décrit. On imagine aisément notre héroïne, on n’est sans doute pas très surpris par son évolution mais cela fonctionne bien. La partie qui se déroule l’été est très agréable, c’est vivant humain, foisonnant.
L’écriture n’est pas particulièrement travaillée, le vocabulaire est simple sans être pauvre, quelques petites approximations ça et là mais on lit ces romans-là pour se divertir et rêver et le pari est réussi ! On passe un agréable moment en compagnie de Yaël et des autres et il y a même une petite surprise pour les lecteurs fidèles de Martin-Lugand.
Si vous avez lu et aimé ses précédents, vous ne serez sans doute pas déçus et si vous cherchez un roman facile à lire pour vous détendre, après le travail par exemple, allez-y, c’est permis !
Place à l’extrait :
« Les dix jours qui suivirent, vu le peu d’heures de sommeil que je m’accordai, j’aurais pu passer mes nuits à l’agence. Je n’y étais jamais seule puisque Bertrand tenait, évidement, le même rythme que moi. Il me proposa de me faire relayer par un collègue pour mes autres clients, je refusai, sachant gérer une période de rush, j’aurais tout le temps de me reposer après. Nous parlions peu, si ce n’est de l’affaire de Gabriel où nous serions en tandem, son dossier devant être épluché dans les moindres détails, jusqu’à l’alinéa microscopique en fin de proposition de contrat ; il fallait tout connaître, tout comprendre, pour que rien ne nous échappe. Gabriel passa régulièrement à l’agence, sur demande de Bertrand ou de son propre chef pour s’assurer de notre avancée. Entre nous, c’était la guerre froide ; durant les points que nous faisions tous les trois, nous ne nous adressions la parole qu’au sujet de l’affaire, il ne fit plus aucune remarque douteuse, de mon côté, je restai hyper-concentrée.
Le samedi soir, aux alentours de 22 heures, j’étais à mon bureau quand Bertrand vint me chercher.
– Viens dîner.
Ma tablette en main, je rejoignis la kitchen et m’installai sur un des tabourets de bar de l’îlot central, en face de Bertrand. Je pris le temps d’observer mon patron. Son visage était fermé et concentré sur l’écran. Fatigué, tout comme le mien, sans doute. Il dut sentir que je le regardais, il leva les yeux et les planta dans les miens. J’y lus de la détermination. Ne voulant pas qu’il décèle la plus petite part de lassitude chez moi, je piquai du nez. Il fit glisser vers moi un plateau en travers du bar. Quatre sashimis suffirent à me rassasier, je jetai ma barquette, nettoyai ma place et m’apprêtai à retourner à mon bureau.
– Rentre chez toi, m’ordonna tout à coup Bertrand.
Hallucinée, je fis volte-face, il m’observait avec attention. Croyait-il que j’allais craquer sous la pression ? »