Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine

Le pays du lieutenant Schreiber, Andreï MakineLe pays du lieutenant Schreiber, Andreï Makine, Grasset, 217 pages, Sortie : le 03 Janvier 2014

Résumé et critique, le tout-en un :

Makine rend un formidable hommage vivant au lieutenant Jean-Claude Servan-Schreiber qui a combattu aux côtés des Français lors de la seconde Guerre Mondiale en 39-40. A maintes reprises, il manque de périr sous les balles ou obus des allemands. Pour son courage, son intelligence, son engagement, l’un de ses supérieurs lui destinait une médaille or il est également juif et pour certains, en cette période trouble, il est impossible de décerner une récompense à un Juif qui se trouve être avant tout un Français bien intégré, plus qu’amoureux et dévoué à sa patrie. Dès 1941, il va s’engager dans la Résistance avant d’être envoyé en Espagne dans un camp. Quand il revient à Paris en 1945, à la fin de la guerre, c’est un homme marqué à jamais par cette expérience de la guerre, qui ne trouve plus vraiment sa place parmi cette foule de Parisiens en liesse, se réjouissant d’une victoire qui ne leur appartient pas vraiment et qui discutent philosophie  (notamment de l’existentialisme) à la terrasse des cafés. Lui, finalement, se trouve en phase avec une infirmière qui revient du Front. Quelque part, ils se comprennent car ils viennent tous les deux de cette guerre et de la même patrie , en fin de compte c’est un peu comme s’ils y étaient toujours. Si Servan-Schreiber a une longue vie après ces événements historiques, Makine ne nous en dit pas plus. On s’intéresse là à ces quelques années déterminantes d’une vie toute entière. C’est aussi le récit d’une rencontre entre deux hommes car il ne faut pas s’y tromper : c’est bien l’histoire de Servan-Schreiber que Makine nous retransmet avec son oeil souvent très critique : élogieux pour le vieil homme ancien soldat et sans concession aucune pour ses contemporains. Makine s’efface pour laisser vivre son personnage qui est bien réel. S’il ne s’étend pas sur la nature de leurs relations, on peut sentir entre ces deux êtres un respect et un attachement mutuels.

Tout commence grâce à une lettre : celle que Servan-Schreiber rédige à l’attention de Makine après avoir lu son livre :  Cette France qu’on oublie d’aimer publié en 2006 où il mentionne certains compagnons d’armes qu’a côtoyés Servan-Schreiber. Ce dernier propose à l’écrivain de le rencontrer afin de lui conter quelques anecdotes tirées de sa mémoire personnelle. Makine s’empresse d’accepter et va devenir le confident de cet homme qui a incarné un jeune soldat enfantin et rieur. Au gré des rencontres, il va recueillir les mêmes épisodes de cette histoire personnelle narrés sous diverses facettes. Makine nous parle de cet homme comme d’une personne humble et discrète qui ne se met jamais en avant. Il tombe un jour par hasard sur une note dithyrambique consignée durant la seconde Guerre Mondiale concernant Servan-Schreiber et précise que jamais ce dernier ne s’en serait vanté. Sous la belle plume d’Andreï Makine, Servan-Schreiber se mue en personnage de légende, brave et loyal avec en sus le bon goût de la modestie. Son appartement garde des souvenirs de camarades de guerre pour beaucoup tombés dans l’oubli. C’est pour cette raison que Makine  va fortement l’inciter à se lancer dans l’écriture de ses mémoires qui, après moult refus de plusieurs éditeurs, donnera lieu à Tête haute publié chez Pygmalion et passé totalement inaperçu lors de sa sortie. On peut dire que Makine ne tarit pas d’éloges sur cet ouvrage et il était vraiment enthousiaste quant à cette publication. Au départ, Servan-Schreiber ne se sentait ni désireux ni légitime de raconter son histoire et celle d’hommes qui sont morts oubliés. Avec les encouragements répétés de Makine, il se lance dans ce projet qui n’a malheureusement pas la portée espérée ce qui fait culpabiliser Makine. Servan-Schreiber relativise, l’auteur du Pays du lieutenant Schreiber semble amer, il n’hésite pas à vihipender la lâcheté des éditeurs français,  les donneurs de morales à savoir des écrivains soit-disant engagés tels que Sartre et Beauvoir, mais qui n’ont rien vécu de ce qu’ont traversé ceux qui étaient sur le Front, il n’est pas tendre avec eux ni avec cette culture de masse qui est la nôtre faisant la part belle aux people, à la frivolité et qui préfère taire les réalités historiques dignes d’intérêt et ayant impacté plusieurs générations.

Si le projet de Makine était de nous sensibiliser à un combat historique, politique et moral tel que celui de Servan-Screiber, c’est réussi car son roman est, au final, profondément humain et marquant. On pourrait bien sûr lui reprocher son manque d’impartialité mais c’est aussi ce qui donne la force à ce roman : on entend la voix d’un homme en colère qui fait rimer engagement avec patriotisme pour cet auteur  français né en Sibérie. Et nous pourrions nous hasarder à penser que ce projet d’écriture était peut-être pour lui un ultime combat contre cette indifférence générale à l’égard d’un rescapé de 39-45 qui avait bien voulu partager son histoire avec Tête haute.

Un extrait qui fait défiler un des épisodes de l’histoire tourmentée de Servan-Schreiber :

   « Le vieil homme m’a déjà raconté cette histoire. Son livre l’évoque aussi. Un époustouflant pied de nez à la fatalité de la haine, un beau baroud d’honneur à l’intention des persécuteurs engoncés dans leur manteau de cuir.
Ce soir, il raconte l’épisode un peu autrement, comme si l’éloignement de ce passé de guerre rendait le triomphe des amoureux trop manifeste pour le célébrer. Oui, ses paroles sont différentes, son ton aussi. La lenteur des mots me laisse deviner un arrière-plan secret de cette lointaine matinée de novembre… Les fenêtres de la chambre d’hôtel sont éclairées par de larges feuilles de platane, déjà dorées et qui brillent sous une pluie légère, tiède, colorée de soleil. Le vent passe, fait bouger un volet qui se ferme comme pour protéger l’intimité menacée des fugitifs. Grisée d’amour, la jeune femme s’est assoupie, gardant un reflet de sourire, un soupir figé sur ses lèvres entrouvertes. L’homme veille, immobile, étonné lui-même de l’absence de crainte puis oubliant jusqu’à cet étonnement, prenant de plus en plus conscience de vivre l’essentiel de sa vie. Avec une joie incrédule, il découvre que cet essentiel tient au vent ensoleillé qui passe dans les feuillages, à la bruine qui irise les vitres, au martèlement mat d’un train. A la présence dans cette chambre de leurs corps nus, si près de la force brute, hostile. A la liberté qu’ils ont d’ignorer le monde autour de cette chambre, de le trouver juste vain, avec ses haines, sa cruauté, ses mensonges… L’homme serre fortement ses paupières tant cette vérité lui paraît éblouissante. »

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