Esprit d’hiver, Laura Kasischke

Esprit d'hiver, Laura KasischkeEsprit d’hiver, Laura Kasischke, Christian Bourgois, 22 Août 2013, traduit de l’anglais, 276 pages

Laura Kasischke, auteure américaine trop méconnue encore en France à mon sens, construit pierre après pierre ou oeuvre après oeuvre une véritable entreprise littéraire diversifiée, exigeante et parfaitement maîtrisée. Elle vit aux Etats-Unis où elle est professeur à l’université ainsi que poétesse. Elle se rapprocherait de Joyce Carol Oates dans sa critique virulente de la société américaine toutefois peu visible dans ce dernier roman.
Esprit d’hiver a été récompensé en 2014 par le Grand Prix des lectrices Elle.

Résumé :

Le roman se déroule sur une seule journée mais émaillée d’incessants retours vers le passé et une date notamment qui se détache des autres : Noël. Aussi bien le Noël passé que celui-là qui finalement ne ressemble à aucun autre. Holly se réveille le matin du 25 décembre avec ce sentiment fort désagréable que « Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux ». Cette impression lancinante et diffuse sera le leitmotiv de cette journée si particulière. Holly voudrait prendre quelques instants dans sa journée marathon pour écrire sur cette impression qui l’a assaillie à son réveil mais elle n’en a ni l’opportunité ni le temps. Ou peut-être plus le courage car sa vie l’a accaparée et, à son grand regret, elle n’écrit plus depuis bien longtemps. Cela tient désormais du doux rêve.
Ayant abusé du lait de poule parfumé au rhum la veille au soir, pendant le réveillon, elle se réveille beaucoup plus tard que d’habitude en proie à un certain malaise qui ne va faire qu’empirer tout au long de cette journée plus que troublante avec une atmosphère des plus oppressantes.
Son mari se lève précipitamment : il est en retard pour aller chercher ses parents qui l’attendent à l’aéroport. Dans la confusion d’une conscience à peine éveillée, Holly ne sait plus si elle a rêvé ou si sa fille se tenait dans sa chambre un instant plus tôt. Le fait est que Tatiana _ ou Tatty _ semble vouloir lui faire payer le fait qu’elle se soit levée plus tard qu’à l’accoutumée. Holly est en retard dans la préparation du repas de Noël : elle attend beaucoup d’invités mais la journée ne va pas se dérouler comme prévu à cause d’un violent blizzard qui surprend la maîtresse de maison. En effet, cette dernière ne s’en rend compte que tardivement. De plus, son mari est contraint d’emmener ses parents à l’hôpital à cause d’un malaise.
Holly demande de l’aide à sa fille, une ado de quinze ans, au regard hypnotisant, d’origine russe _ Holly revient longuement sur les conditions et circonstances de l’adoption de Tatiana. Cette dernière a un comportement de plus en plus étrange et effrayant au cours de la journée. Auparavant, une enfant douce ne causant pas de problème, elle a désormais cette agressivité chevillée au corps comme l’ont parfois les ados face à leurs parents. Holly s’efforce de garder son calme en toutes circonstances et de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Les invités annulent leur venue mais Holly veut aller au bout de la préparation de son repas qui ne sera certainement pas le plus mémorable. Mais elle est sans cesse interrompue par la sonnerie de son portable avec un numéro inconnu ce qui semble incongru en ce jour de fête sans compter les nombreux petits incidents qui se produisent quand Tatiana daigne faire acte de présence. Celle-ci a un comportement surprenant que sa mère interprète comme la punition pour ne pas s’être levée assez tôt et n’avoir pu ouvrir les cadeaux tous les trois. Tatiana disparaît sans cesse pour réapparaître subitement au moment où on ne s’y attend pas ; elle change sans arrêt de tenue et va jusqu’à porter d’affreux godillons russes qu’Holly prend pour une sorte d’affront maternel.
Bref, Laura Kasischke fait courir une tension palpable de bout en bout de ce roman dérangeant.

Mon avis :

Laura Kasischke maîtrise son roman à la perfection avec une progression du présent ralentie par les nombreux flashbacks qui laissent suffisamment de zones d’ombres pour que le lecteur, titillé, s’y engouffre. Comme souvent chez cette auteure, les personnages avancent sur une corde raide ; ils sont au bord de la rupture et le lecteur assiste, impuissant, à ce ballet qui défie l’apesanteur servi par une virtuose de l’écriture. Tour à tour poétique, sombre, glaçant ou intriguant, difficile de résister à cet « Esprit d’hiver » si cher à l’auteure comme le préfigurait déjà son premier roman : Un oiseau blanc dans le blizzard où dès la première page, l’on trouve cette référence : « La veille, au matin, ma mère était encore une femme au foyer _ qui, depuis vingt ans, maintenait notre maison dans un état de propreté et de stérilité qui aurait pu rivaliser avec l’esprit de l’hiver lui-même […] »... Méfiez-vous, vous risquez d’être rapidement contaminés…
Et cette fin ! Du grand art… Sublime. Malgré son titre, je vous le recommande chaudement et il se pourrait que vous soyez aussi bluffé que je ne l’ai été !

Un extrait pour se glisser dans l’Esprit de Noël ou plus encore dans l’Esprit d’hiver :

   « Holly s’assit sur le bord du lit et remonta une jambe de son collant en la faisant rouler sur sa peau. Elle serait, supposait-elle, punie toute la journée pour avoir dormi tard le matin de Noël. Non seulement sa fille allait la contredire constamment, mais les frères d’Eric et leurs épouses seraient bientôt là, s’inquiétant de l’absence de leurs parents, sous-entendant la responsabilité  de Holly dans le fait qu’Eric ait dormi tard (la faute de Holly, d’une certaine manière) et soit arrivé en retard à l’aéroport pour les chercher.
Pourquoi devait-on toujours fêter
chez eux ? Holly aurait été ravie de se rendre dans le New Jersey ou en Pennsylvanie ou au nord de l’Etat de New-York. Elle aurait aimé passer la journée de Noël à déambuler dans la maison de Tony et de Gretchen _ inspectant l’argenterie de cette dernière en quête des résidus collants d’un précédent repas, levant ses verres en cristal à la lumière pour voir s’ils étaient graisseux. Elle aurait été enchantée d’accompagner Eric à l’appartement de ses parents, d’ailleurs, et d’y préparer le dîner ! Elle se serait réjouie d’organiser une réunion de famille dans un hôtel en Floride ! Ou à Cancùn ! Ou à Bend, dans l’Oregon !
Mais il semblait que le fait d’avoir fêté Noël chez Eric et Holly la première année de leur mariage impliquait que la famille d’Eric fêterait à tout jamais Noël chez Eric et Holly, même si cette dernière était irrespectueuse et irresponsable au point de ne pas avoir réveillé son mari le matin de Noël.
Holly ne mit ni chaussures, ni parfum, ni boucles d’oreilles, pas même sa montre. Elle se rendit directement, les pieds en collant, dans la cuisine où elle tomba sur Tatty qui regardait dans sa main l’iPhone que Holly avait laissé sur le comptoir. Une lueur bleue et froide émanait de l’écran, donnant à la peau de Tatty une teinte que Holly n’aimait pas _ le teint d’une malade ou d’une noyée.
Tatty avait un teint superbe, qu’on aurait dit de porcelaine. Sauf que la porcelaine était plus blanche que la couleur de la peau de Tatty, qui avoisinait plus celle de la bisque de langoustines _ ou tout du moins celle que la mère de Holly préparait. Un peu plus grise que l’os. Plus crème que l’ivoire. Crème mélangé à une goutte de violet. Dans certaines lumières et sur certaines photos, on décelait même un soupçon de bleu pâle sur le visage de Tatiana _ un peu plus sombre aux tempes, sous les yeux. »

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  1. MllePeregrine

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